La matière nucléaire se trouve à l’échelle microscopique dans les noyaux, mais également à une échelle beaucoup plus grande dans certains scénarios astrophysiques. Comprendre l’Équation d’État nucléaire (Equation of State, EoS) est essentiel pour décrire le comportement thermodynamique de la matière nucléaire, ce qui constitue un ingrédient nécessaire à la modélisation d’objets astrophysiques tels que les étoiles à neutrons et les supernovae. Un élément clé de l’EoS est son terme d’énergie de symétrie, qui régit la façon dont les systèmes nucléaires équilibrent les protons et les neutrons. Contraindre son comportement en fonction de la densité reste l’un des principaux défis de la physique nucléaire, avec des conséquences importantes en astrophysique, par exemple pour la modélisation des étoiles à neutrons et l’interprétation des signaux des ondes gravitationnelles.
Cet expérience, réalisée au GANIL en 2019, a étudié les collisions 58,64Ni+64,58Ni à 32 MeV/nucleon en utilisant le dispositif expérimental INDRA-FAZIA, le plus avancé pour mesurer la composition neutron-proton des produits des collisions d’ions lourds dans le domaine de l’énergie de Fermi.

Grâce à la résolution isotopique de pointe de FAZIA, le rapport neutron-proton des restes de quasiprojectiles a été mesuré directement, fournissant une sonde robuste de la diffusion d’isospin. Une reconstruction du paramètre d’impact indépendante du modèle a été mise en œuvre sur la base des informations collectées par INDRA.
La rééquilibration progressive du déséquilibre initial en isospin a été observée en comparant les restes de quasiprojectiles produits dans les deux réactions asymétriques opposées (64Ni+58Ni et 58Ni+64Ni). Pour des collisions de plus en plus centrales, ces restes deviennent progressivement identiques. Cela peut être observé clairement sur le graphique en Fig.2, fournissant la mesure la plus précise de la diffusion d’isospin à ce jour, où les courbes des deux réactions tendent à converger à mesure que le paramètre d’impact b diminue (c’est-à-dire pour des collisions plus centrales).
Le résultat a été publié dans Phys. Rev. C : https://doi.org/10.1103/PhysRevC.111.044601

Grâce à une collaboration avec le LPC Caen et le VECC (Kolkata, Inde), soutenue par le programme de GANIL Visiting Scientist, le résultat expérimental a été comparé aux simulations du modèle de transport BUU@VECC-McGill, utilisant à la fois des interactions nucléaires ab-initio et phénoménologiques. Une étude cohérente de l’évolution temporelle des densités baryoniques ainsi que des courants de neutrons et de protons a permis de déterminer précisément la région de densité effectivement sondée dans cette expérience, afin d’éviter toute extrapolation incontrôlée.
La comparaison avec les calculs du modèle de transport montre que la tendance expérimentale ne peut pas être reproduite par des paramétrisations très “stiff” (raides) de l’énergie de symétrie, c’est-à-dire celles qui prédisent une augmentation rapide de l’énergie de symétrie avec la densité. En revanche, les données sont mieux décrites par des paramétrisations “soft” (douces), où l’augmentation avec la densité est plus modérée. Les résultats sont en accord avec le côté plus souple des prédictions ab-initio.
Notre analyse complète, incluant l’étude de la région de densité sensible, a permis la définition des zones de confiance dans le plan énergie de symétrie vs densité autour de la densité de saturation, fournissant ainsi l’une des contraintes expérimentales les plus strictes à ce jour.

Cette contrainte, complémentaire de celles issues des observations astrophysiques, peut être directement utilisée pour l’inférence de l’EoS nucléaire des étoiles à neutrons.
Le résultat a été récemment publié dans la revue Phys. Lett. B : https://doi.org/10.1016/j.physletb.2025.139815
Contact: Caterina Ciampi
