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Mesures à SPIRAL2 pour la médecine nucléaire

Au GANIL (Grand Accélérateur National d’Ions Lourds/CEA-CNRS), un accélérateur de particules unique au monde a permis de contribuer au développement de la thérapie alpha ciblée. Grâce à SPIRAL2, les chercheurs ont pu mesurer des données précises sur la production de l’astate-211, un isotope prometteur pour le traitement du cancer, mais aussi sur l’astate-210, son dangereux voisin jusqu’ici mal connu. 

NFS irradiation station (©GANIL/CEA-CNRS)

Un isotope discret mais prometteur

Parmi les dizaines de radio-isotopes étudiés pour la médecine, l’astate-211 occupe une place à part. Il doit être produit artificiellement, mais il présente des caractéristiques très intéressantes pour la radiothérapie alpha ciblée.

Son atout majeur : lors de sa désintégration, il émet une particule alpha. Cette dernière, est extrêmement énergétique mais parcourt très peu de distance dans le corps (quelques dizaines de micromètres).  Ainsi, en se fixant préférentiellement aux cellules tumorales ou leur environnement proche grâce à un ligand spécifique, l’isotope radioactif se concentre à proximité des micro-tumeurs. Les particules alpha émises provoquent alors des dommages irréversibles à l’ADN des cellules cancéreuses tout en limitant les dégâts aux tissus sains grâce à leur très courte portée.

À cela s’ajoute une demi-vie de 7,2 heures, suffisante pour que l’astate-211 soit produit, transporté et utilisé en hôpital. Sa chimie, proche de celle de l’iode, facilite par ailleurs le développement de molécules vectrices également adaptées à l’imagerie. Autant de qualités qui font de l’astate-211 un candidat de choix pour entrer dans l’arsenal thérapeutique des oncologues.

Le problème de l’astate-210 : l’ombre au tableau

Problème : l’astate-211 n’existe pas à l’état naturel. Il peut être produit artificiellement, en bombardant du bismuth avec des particules alpha. Mais cette réaction délicate génère aussi un isotope indésirable, l’astate-210, dont la descendance radioactive mène au polonium-210, tristement célèbre pour sa toxicité extrême. Il est donc essentiel d’éviter cette « contamination » pour envisager un usage médical sûr.

Éliminer chimiquement l’astate-210 est impossible car il a exactement les mêmes propriétés chimiques que l’astate-211. La seule solution consiste à contrôler finement l’énergie du faisceau de particules pour maximiser la production d’astate-211 tout en minimisant celle d’astate-210. Malheureusement les données expérimentales sur l’astate-210 sont rares, fragmentaires et présentent des incertitudes importantes. Par conséquent les bases de données internationales manquent de repères fiables et de précision sur la production d’astate-210.
Tant que ce verrou persiste, il limite l’essor médical de l’astate-211.

Les atouts de SPIRAL2

C’est ici qu’intervient SPIRAL2, l’accélérateur linéaire supraconducteur du GANIL. Conçu pour fournir des faisceaux d’ions intenses et parfaitement contrôlés, il constitue une rupture technologique par rapport aux cyclotrons, majoritairement utilisés pour ces études.

SPIRAL2 atteint une précision en énergie meilleure que 0,1 % et une énergie facilement réglable. D’autre part, le réglage flexible de l’accélérateur permet de n’utiliser qu’une seule cible unique en faisant varier précisément l’énergie, là où les expériences précédentes devaient empiler des cibles (« stacked foils »), introduisant une dispersion supplémentaire de l’énergie et donc une production d’astate-210 en fonction de l’énergie moins bien contrôlée.

Enfin, l’utilisation du détecteur EXOGAM, un spectromètre gamma de haute efficacité, permet de mesurer avec précision les rayonnements caractéristiques des isotopes produits, même quand les activités produites dans la cible sont très faibles.

Des mesures qui s’attaquent à un verrou scientifique

Grâce à cette combinaison d’outils, les chercheurs ont étudié la production d’astate-210 et d’astate-211 dans la plage d’énergie critique de 28 à 31 MeV. Ils ont pu observer avec fiabilité la montée progressive de la production d’astate-210 dès 28,6 MeV et le pic de production de l’astate-211 autour de 31 MeV.
Les données obtenues confirment en partie les résultats antérieurs sur l’astate-211, mais elles apportent surtout une référence nouvelle et robuste sur l’astate-210, là où la littérature restait floue. De quoi corriger et affiner les bases de données nucléaires.


Vers une nouvelle génération de radio-isotopes thérapeutiques

L’enjeu dépasse le simple cadre académique. En médecine nucléaire, l’absence de données expérimentales fiables sur l’astate-210 constitue un frein au développement clinique de l’astate-211. Avec ces nouvelles données, les conditions de production peuvent être définies de manière plus optimisée, garantissant un rapport At-211/At-210 compatible avec un usage médical.

Cette expérience démontre que l’installation SPIRAL2, construite pour répondre à des questions de physique nucléaire fondamentale, peut devenir un outil privilégié pour l’étude de la production de radio-isotopes thérapeutiques, en combinant intensité, stabilité et précision en énergie. L’astate-211 pourrait n’être que le premier d’une série de radionucléides produits et caractérisés dans des conditions idéales.

Contact: Anne-Marie FRELIN

https://doi.org/10.1016/j.apradiso.2025.112061

S. Ansari, A.M. Frelin et al : Optimizing 211At production cross section by studying the rise of 210At cross section: First measurement using Linac SPIRAL2