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Vers des noyaux toujours plus exotiques : pourquoi le ⁴⁸K est une étape clé

Une collaboration internationale menée par l’université de Surey et le LPC Caen a réalisé une expérience pour étudier la structure du noyau de ⁴⁸K en utilisant la réaction de transfert de neutrons: ⁴⁷K(d,p)⁴⁸K  au GANIL. Grâce à l’ensemble MUGAST+AGATA+VAMOS, neuf nouveaux états quantiques liés ont été observés pour la première fois dans le ⁴⁸K, avec la détermination des spins et parités ainsi que leurs facteurs spectroscopiques. Ces mesures permettent de sonder finement la structure du ⁴⁸K, en examinant comment les protons et neutrons interagissent, notamment dans le cas très particulier et mal connu entre les orbitales de proton (s₁/₂) et neutrons (fp), autour du fameux “nombre magique” N = 28. Ce résultat, de grande précision, est une étape clé vers la modélisation de noyaux encore plus exotiques tels que les isotopes de 44S et 42Si dont les premières mesures de spectroscopie ont été réalisé au GANIL il y a presque 20 ans.  Une longue quête dans l’étude des nombres magiques, piliers de la modélisation du noyau atomique.

🎯 L’expérience en quelques mots

Au sein du noyau atomique les protons et les neutrons s’organisent selon des règles quantiques strictes. La collaboration s’est intéressée à un isotope clé : le potassium-48 (⁴⁸K), qui comporte 21 neutrons, soit  juste un de plus que le “nombre magique” de neutrons N = 28, une configuration quantique réputée très stable dans la structure du noyau atomique. Pour créer du ⁴⁸K, des ions radioactifs de ⁴⁷K sont produits par le système SPIRAL1 au GANIL et accélérés par le cyclotron CIME puis envoyés sur une fine cible de deutérium, un isotope lourd de l’hydrogène. La réaction de transfert dite (d,p) permet alors à un neutron d’être ajouté au noyau, créant du ⁴⁸K, tandis que le proton restant de la cible est éjecté. En mesurant à la fois les protons et les rayons gamma émis – grâce à l’installation de pointe MUGAST+AGATA+VAMOS – l’équipe a identifié pour la première fois certains niveaux d’énergie du noyau produit de 48K. Ce qui rend l’étude importante, c’est qu’elle cible des états créés par l’interaction spécifique entre un proton dans l’orbite s₁/₂ et un neutron dans les orbites fp. Cette “interaction” donne accès à de nouveaux états dans ⁴⁸K jusqu’ici inconnus. Les résultats sont comparés à deux modèles théoriques populaires : SDPF‑U et SDPF‑MU. Si ces modèles reproduisent partiellement les niveaux observés, ils dévient nettement sur l’état fondamental et surestiment les facteurs spectroscopiques. Cela indique que les interactions proton-neutron entre les orbitales « » et « d » sont mal maitrisées dans ces modèles. Cette étude met donc en lumière des limites des modèles actuels pour décrire les noyaux plus légers et plus exotiques, et ouvre la voie à des améliorations dans notre compréhension des forces nucléaires autour du nombre N = 28 en particulier vers l’ilot de déformation identifiée pour la première fois au GANIL il y a 20 ans dans l’isotope de 42Si.

 

📈 Les découvertes marquantes de cette expérience

Cette expérience a découvert de nouveaux états dans le ⁴⁸K à partir des mesures simultanées des énergies et sections efficaces (la probabilité de réaction). A partir de ces observables, une quantité appelée le facteur spectroscopique (qui correspond à la probabilité de présence du neutron dans telle orbite) est extrait pour les niveaux d’énergie dans le 48K. Ces résultats nous éclairent sur l’évolution de la structure nucléaire dans la région autour de N = 28, nombre magique établie au début du XXieme siècle et les nouveaux nombres magiques, tels que N = 32 et N = 34, découverts progressivement dans les dernières décennies auprès des accélérateurs d’Ions lourds modernes.

 

🌍 Pourquoi c’est utile

Le ⁴⁸K a 19 protons et 29 neutrons : c’est un noyau asymétrique, avec beaucoup plus de neutrons que de protons. Il est « riche en neutrons ». Ce type de configuration est courant dans les noyaux exotiques qu’on cherche à explorer dans des installations comme le GANIL (France), FAIR (en Allemagne) ou RIKEN (au Japon). En étudiant des noyaux comme le ⁴⁸K, on comprend mieux comment les forces changent quand on ajoute des neutrons, surtout au-delà de certains “nombres magiques”. Ces résultats permettent d’affiner les modèles nucléaires, c’est-à-dire améliorer notre capacité à mieux prédire la structure et la stabilité des noyaux les plus exotiques difficilement accessibles aujourd’hui de par la difficulté expérimentale à simplement les produire en laboratoire.  Dans ce contexte, l’étude de noyau un peu moins exotique de ⁴⁸K agit comme une loupe sur les mécanismes fondamentaux qui régissent les noyaux très exotiques riches en neutrons. A mesure que les physiciens s’éloignent des noyaux stables (ceux qu’on trouve naturellement sur Terre), les forces nucléaires deviennent difficiles à modéliser. Il faut des mesures ciblées, précises et pertinentes pour améliorer les modèles et notre compréhension du noyau atomique. Le 48K répond à cet objectif.  Les résultats montrent que les modèles actuels surestiment les contributions de certaines configurations. Cela signifie que les interactions entre protons et neutrons dans certaines orbitales sont mal décrites. Si on ne corrige pas cela, les prédictions pour les noyaux encore plus riches en neutrons (comme ceux proches de la “drip line” – la limite au-delà de laquelle les noyaux ne peuvent plus exister) seront fausses. En d’autres termes : ⁴⁸K est un test décisif pour valider ou rejeter les modèles qu’on utilise ensuite pour prédire la structure de noyaux plus lourds et plus rares. Ces recherches ont aussi un impact sur la compréhension de la nucléosynthèse dans les étoiles, notamment le processus r (capture rapide de neutrons), qui forme les éléments lourds dans les supernovae ou les collisions d’étoiles à neutrons. Or, ce processus passe par des noyaux très exotiques qu’on ne peut pas observer directement – on doit les prédire théoriquement. Si les modèles sont mal calibrés (comme le montre l’étude sur ⁴⁸K), cela affecte notre capacité à modéliser correctement l’origine des éléments dans l’univers.

Les résultats de cette expérience ont été publié dans la prestigieuse revue Phys Rev Lett.  C. J. Paxman et al Phys. Rev Lett. 134, 162504 (2025)   https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.134.162504