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L’intelligence artificielle au service du spectromètre VAMOS++ au GANIL

Au GANIL, un modèle d’intelligence artificielle basé sur un réseau de neurones facilite et améliore désormais l’identification des noyaux détectés dans le spectromètre VAMOS++. Opérationnel pour toutes les expériences, il offre une analyse en temps réel des données, tout en garantissant une précision remarquable.L’incertitude sur la masse atomique reste ainsi inférieure à 0,5 %, ce qui représente un véritable gain pour la fiabilité et la rapidité des expériences menées au GANIL.

Un spectromètre au cœur de la physique nucléaire

VAMOS++ est un spectromètre magnétique capable de collecter des particules issues d’une grande variété de réactions nucléaires. Grâce à sa grande acceptance en angle et en impulsion, il permet d’analyser des ions très différents, issus d’expériences complexes, en caractérisant deux de leurs propriétés fondamentales : le nombre de masse (A) et le numéro atomique (Z). La détermination de la masse repose sur la mesure de la rigidité magnétique, un paramètre lié à la trajectoire des ions dans le champ magnétique du spectromètre, ainsi qu’à leur énergie et leur vitesse. Quant à l’identification du numéro atomique, elle s’effectue grâce à la mesure de la perte d’énergie combinée à l’énergie totale du fragment.

Cependant, l’analyse des trajectoires d’ions dans un appareil aussi complexe n’est pas une mince affaire. Pour reconstituer le parcours précis d’un ion entre son point de production et le plan focal du spectromètre, il faut mesurer avec grande précision ses coordonnées initiales et finales, puis appliquer des algorithmes avancés de reconstruction de trajectoires. Jusqu’ici, ces calculs étaient fondés sur l’hypothèse simplificatrice d’un point d’impact très localisé du faisceau sur une cible mince, ce qui n’est plus adapté à tous les cas expérimentaux.

Un nouveau défi: les cibles gazeuses étendues

Un nouveau programme expérimental de VAMOS++, centré sur l’étude de la dynamique de fission, introduit une difficulté supplémentaire : l’utilisation d’une cible gazeuse étendue. Dans ce contexte, le faisceau interagit avec la cible sur un volume plus large, rendant obsolète l’hypothèse d’un point d’interaction unique (voir Figure 1). Pour y remédier, les chercheurs ont mis au point une méthode de reconstruction qui intègre les coordonnées tridimensionnelles du point d’interaction entre le faisceau et la cible, une tâche particulièrement complexe en raison de la non-linéarité du système.

Figure 1: Vue de l’interaction entre le faisceau et le volume de gaz à l’entrée de VAMOS++ : Cette coupe montre la zone où le faisceau interagit avec le gaz. Le point d’origine représente l’interaction typique avec une cible mince. L’angle entre le faisceau et l’axe du spectromètre est de 15°. Les zones hachurée et pleine indiquent respectivement le volume de gaz total et la zone effective d’interaction. Un ion sortant y est illustré.Interaction du faisceau dans le volume du gaz.

C’est ici que l’intelligence artificielle entre en scène. Les réseaux de neurones profonds (DNN pour Deep Neural Networks) sont particulièrement adaptés à ce type de problème, car ils peuvent apprendre à reconnaître des relations complexes dans des jeux de données très vastes. Les chercheurs ont opté pour une architecture dense à six couches, comportant chacune 32 neurones, suivie d’une unité de sortie. Les données d’entrée du réseau incluent la position en trois dimensions de l’interaction dans la cible, les angles des produits de réaction et leurs coordonnées au plan focal. Le réseau apprend ensuite à prédire la rigidité magnétique et la longueur exacte de la trajectoire. Une représentation schématique d’un tel réseau neuronal profond est présentée en Figure 2.

Figure 2: Architecture générale du réseau neuronal profond : composée de couches et d’unités (neurones) par couche, suivies d’une unité de sortie unique. L’entrée du réseau neuronal profond comprend les coordonnées de trajectoire des ions suivantes : la position tridimensionnelle d’interaction du faisceau dans le volume de la cible ; les angles horizontaux et verticaux des produits de réaction sortants ; la position horizontale et l’angle des produits au plan focal du spectromètre. La sortie du réseau neuronal profond fournit la rigidité magnétique et la longueur de trajectoire entre le point d’interaction et le plan focal du spectromètre.

Des résultats probants grâce à l’apprentissage des données simulées

Pour entraîner ce réseau, les chercheurs ont utilisé le code de simulation ZGOUBI, spécialisé dans le calcul de trajectoires d’ions dans des champs magnétiques. Un ensemble de 200 millions de trajectoires théoriques a été généré, couvrant l’ensemble du volume de la cible gazeuse. Après plusieurs heures d’apprentissage, le réseau de neurones est devenu capable de traiter les événements en temps réel avec une précision exceptionnelle. Notamment, le réseau de neurones maintient une précision exceptionnelle, assurant une incertitude sur le nombre de masse atomique inférieure à 0,5%.

La méthode a été validée à l’aide des données issues de l’expérience E826 menée au GANIL. Lors de cette expérience, des fragments de fission ont été produits par des réactions induites par un faisceau d’uranium 238 sur une  cible mince de béryllium. Le spectromètre VAMOS++ a permis de détecter ces fragments de fission. Les données ont ensuite été analysées par le réseau neuronal, qui a permis de reconstruire la distribution des masses atomiques avec succès dans le cas d’une cible mince, comme le montre la Figure 3.

Figure 3: Application du réseau neuronal profond au cas d’une cible mince : Spectre du nombre de masse atomique obtenu à partir de l’expérience avec cible mince en utilisant la méthode de reconstruction basée sur le réseau neuronal profond.

Vers une nouvelle ère de l’analyse de données

L’intégration de l’intelligence artificielle dans les instruments de physique nucléaire ouvre la voie à de nombreuses perspectives. À terme, ces technologies pourraient permettre une identification automatique de caractéristiques fondamentales des noyaux, comme leur état charge ou leur numéro atomique, sans nécessiter d’analyse manuelle. Elles pourraient aussi accélérer significativement les simulations et la préparation des expériences, rendant le processus de recherche plus rapide et plus efficace.

Ce projet au GANIL illustre parfaitement comment les outils numériques les plus avancés peuvent s’intégrer aux infrastructures expérimentales de pointe pour repousser les frontières de la connaissance. Grâce à l’intelligence artificielle, les chercheurs disposent désormais d’un outil puissant pour explorer la matière à l’échelle nucléaire, avec une précision et une rapidité jusqu’alors inaccessibles.

Pour en savoir plus :

[1] Performance of the improved larger acceptance spectrometer :  VAMOS++,  M. Rejmund et al. Nucl. Inst. And Methods A 646, 184 (2011), doi : 10.1016/j.nima.2011.05.007

[2] Seven-dimensional trajectory reconstruction for VAMOS++, M. Rejmund and A. Lemasson, Nucl. Inst. And Methods A 1076, 170445 (2025), doi : 10.1016/j.nima.2025.170445