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Une histoire de formes de noyaux vieille de 50 ans … enfin résolue ?

En 1965, S. A. E. Johansson découvre que certains des fragments issus de la fission du Californium-252 sont des noyaux très déformés, à l’image d’un ballon de rugby. Cette observation étonne : les noyaux proches de ces fragments, comptant un peu plus ou un peu moins de nucléons, sont en effet plutôt sphériques. Depuis 50 ans, cette transition brutale entre noyaux atomiques sphériques et déformés est un mystère et motive toujours d’intenses recherches théoriques et expérimentales en physique nucléaire.

Une collaboration menée par des physiciens du GANIL et du CEA-Saclay/SPhN a réalisé une série d’expériences qui apporte un éclairage nouveau et décisif sur ce phénomène : ils ont montré que pour un même noyau, le strontium-98, les nucléons peuvent se répartir de manière à former une sphère ou un ballon de rugby. : c’est le phénomène de coexistence de formes qui est associé à différents modes d’interactions des nucléons entre eux. Cette étude qui permet de mieux comprendre les transitions subites de forme du noyau atomique a fait l’objet d’une publication dans la revue Physics Review Letters.

Les propriétés du noyau atomique, comme sa masse, sa forme ou son temps de vie s’il est radioactif, tendent à évoluer progressivement en fonction du nombre de protons et de neutrons qu’il contient : il n’y a habituellement pas de « rupture » nette dans ces caractéristiques. Cependant, pour certaines combinaisons de protons et de neutrons, la force qui les lie peut soudainement provoquer un arrangement particulier des nucléons du noyau. C’est le cas par exemple des fameux « noyaux magiques » dont la forme sphérique est associée à un surcroît de stabilité. La manière dont les nucléons s’organisent étant révélatrice de leurs modes d’interaction, la physique nucléaire s’intéresse particulièrement aux changements abrupts qui peuvent survenir dans la structure ou la forme des noyaux.

C’est par exemple le cas des isotopes très exotiques (ils n’existent pas sur Terre) de strontium-96 et -98 qui comptent 38 protons et, respectivement, 58 et 60 neutrons : une récente expérience montre qu’ils passent soudainement d’une forme sphérique (Strontium-96) à une forme très allongée (Strontium-98) alors que seulement deux neutrons les séparent. Pourquoi ces isotopes pourtant si proches présentent-ils un tel comportement ? Quel est le mécanisme qui provoque une telle transition de forme ? Ce sont les questions auxquelles une collaboration internationale menée par des physiciens du GANIL et du CEA-Saclay/SPhN a tenté de répondre en réalisant une série d’expériences auprès de l’installation REX-ISOLDE2 au CERN.

L’expérience

Mais tout d’abord, comment déterminer la forme d’un noyau atomique ? Elle peut être déduite de la mesure du « moment électrique quadrupolaire » du noyau, qui rend compte de la répartition spatiale des particules chargées présentes dans le noyau, les protons. Un moment électrique quadrupolaire nul est ainsi associé à une forme sphérique parfaite. Un moment électrique quadrupolaire négatif est en revanche l’indication d’une forme allongée à l’image d’un ballon de rugby, alors qu’une valeur positive est associée à une forme aplatie, comme une boite de camembert.

Pour étudier leur forme, les noyaux radioactifs de strontium-96 et -98 produits et accélérés à 21 000 km par seconde par l’installation REX-ISOLDE du CERN à Genève, ont été envoyés sur différentes cibles de nickel, d’argent, d’étain et de plomb. Les noyaux de strontium sont excités par interaction électromagnétique lorsqu’ils passent à proximité des noyaux d’atomes composant la cible, et ce d’autant plus facilement que leur moment quadrupolaire est élevé. Les noyaux de strontium se désexcitent immédiatement en émettant des rayonnements gamma (des photons) qui sont mesurés à l’aide du spectromètre MINIBALL3 entourant la cible. La mesure de l’intensité de ces rayonnements gamma renseigne sur la facilité avec laquelle le noyau s’excite et permet d’en déterminer le moment quadrupolaire électrique et donc la forme.

Ce que les chercheurs ont montré c’est que le noyau de strontium-96 est effectivement sphérique, alors que le strontium-98 qui ne compte que deux neutrons de plus est très déformé, tel un ballon de rugby deux fois plus long que large. Le changement de forme abrupt entre les strontium-96 et -98 traduit le fait qu’en ajoutant seulement deux nucléons au premier, l’équilibre des forces nucléaires conduit tous les nucléons du second à adopter une organisation différente, déformée, moins coûteuse en énergie.

La découverte la plus importante est que lorsque le noyau de strontium-98 est légèrement excité, il adopte une forme sphérique, semblable à celle du strontium-96 au repos. On dit que les deux formes déformées et sphériques« coexistent » dans le noyau de strontium-98.

D’autres noyaux présentent une semblable coexistence de formes, mais elles sont habituellement mélangées, comme si les nucléons du noyau « hésitaient » entre un type d’arrangement ou un autre. La particularité du strontium-98 est que contrairement à ce qui est généralement observé dans les autres, les deux formes ici ne se mélangent pas. L’étude de ce phénomène a permis enfin de comprendre l’observation effectuée pour la première fois en 1965, il y a exactement 50 ans, par S.A.E Johansson4. Ce résultat remarquable vient de faire l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Physics Review Letters5.

1http://www.ganil-spiral2.eu/science/diko/noyau-a-halo

2http://isolde.web.cern.ch/

3http://isolde.web.cern.ch/experiments/miniball

4S. A. E. Johansson, Nucl. Phys. 64 (1965) 147

5 “Spectroscopic quadrupole moments in 96,98Sr: Evidence for shape coexistence in neutron-rich strontium isotopes at N=60″, E. Clément et al, Physical Review Letters 116 022701 (2016)